« Il y a trois ans vous m’appeliez toutes les semaines. Cette année, aucun chasseur ne me sollicite ». Ce constat, fait par un collaborateur senior (8 ans d’expérience post-CAPA) de cabinets d’avocat international, constitue une dure réalité. Le reflet d’un marché qui rend « trop senior » des candidats de 32-33 ans, incapables de revendre leur expertise dans des structures où leur sont préférés les fameux « middle » (3-6 ans d’expérience) qu’ils étaient quelques années plus tôt.
Après 11 ans à
rencontrer et à recruter des collaborateurs, je m’étonne toujours de la
tendance de certains d’entre eux à foncer tête baissée dans le piège d’un
marché qui, à de très rares exceptions, n’offre aucune perspective. Mon propos
n’est certainement pas de recommander d’éviter les grands cabinets d’affaires.
Je voudrais simplement mettre en exergue l’importance de se poser les bonnes
questions… au bon moment.
Lors des trois premières années de collaboration, il est essentiel de faire un choix de formation et d’employabilité. De rejoindre un cabinet, une équipe, capable de former à un métier, à une rigueur, et à une approche qualitative du conseil. Cela peut sembler prématuré mais, il est fondamental qu’à la fin de ce cycle, chacun sache quel avocat (ou pas!) il souhaite devenir. Entre trois et six ans d’expérience, c’est la lucidité qui sera la clé. Une lucidité qui permettra de ne pas se laisser enfermer dans un système économiquement déraisonnable dans lequel on pourrait continuer à gagner 10-15% de plus par an dans une économie qui croît péniblement de 2%...
Le choix est simple : soit quitter la profession, soit y rester et décider d’opter pour une démarche entrepreneuriale en posant sa plaque ou, en s’associant à de jeunes confrères. Ou encore reporter le caractère définitif de cette orientation en choisissant de continuer à évoluer encore quelques années dans un « grand » cabinet. Mais ce dernier choix lui-même implique une prise de conscience. Soit vous êtes une « star » et évoluez dans la roue d’un associé qui va vous transmettre et vous sponsoriser ; soit vous faites ce choix en préparant le suivant, en refusant la cage dorée, en vous mettant en capacité (notamment financière) de la quitter une fois l’opportunité trouvée et ce malgré l’effort financier à consentir. À la lumière de mon expérience de recruteur pour les cabinets d’avocats, je me permets donc de vous donner ce conseil. Si à 6/7 ans de barreau vous êtes dans un de ces grands cabinets d’affaires et que vous n’y êtes pas perçu comme un futur associé (il est important d’évaluer vos chances avec objectivité); et que par ailleurs vous avez vécu comme si vos capacités financières allaient croître indéfiniment, je vous recommande d’envisager un changement.
Ici, voici vos options, selon moi : switcher en entreprise - sur un marché ultraconcurrentiel où il faudra vous adapter rapidement. Ou bien faire le pari entrepreneurial en cabinet d’avocats - avec tous les risques économiques liés à la création d’entreprise. Il est crucial de construire votre carrière sans penser qu’une rétrocession de junior, de middle, et encore moins de senior, rend compte de votre valeur professionnelle intrinsèque. Elle n’est souvent que le reflet économique d’une «hyperdisponibilité».
Cette peinture, certainement un peu réductrice mais réaliste (notamment à Paris en cabinet d’affaires), vous aidera je l’espère à faire le meilleur choix de carrière.
Tribune publiée dans la Lettre des Juristes d'Affaires du 30 avril 2018
N° 1348-1349 - ISSN 1143-2594