Le passage des avocats en entreprise : internalisation efficace ou recul pour l'opérationnalité des directions juridiques ?
De plus en plus d’avocats souhaitent quitter la robe. Mais au vu de l’exigence des équipes opérationnelles, dans quelles mesures les directeurs juridiques sont-ils prêts à les accueillir au sein de leurs équipes ? Au-delà de l’internationalisation du contentieux, existe-t-il réellement une place pour l’avocat en entreprise aujourd’hui ? FED Legal a demandé l’avis de deux directeurs juridiques : Matthieu Guérineau*, Directeur Juridique contrats au sein des Laboratoires pharmaceutiques Servier, et Eric Moncuit*, Directeur Juridique Groupe du Groupe Industriel Delachaux.
* Matthieu Guérineau et Eric Moncuit s’expriment en leur propre nom et non en celui de leurs entreprises respectives.
FED Legal : Selon vous, quels atouts/désavantages représentent un avocat au sein d’une équipe juridique ?
Matthieu Guérineau : "L’expérience en contentieux de certains avocats est un atout non négligeable pour l’entreprise, puisqu’il permet d’avoir une meilleure analyse du risque lors des négociations contractuelles. De plus, le fait d’avoir été le conseil de différents clients permet d’enrichir la société des différentes visions et manières de travailler. C’est aujourd’hui la plus-value indéniable des juristes ayant eu une première vie en cabinet d’avocats. Pour les matières qui ne sont pas le cœur business de la société – comme le contentieux public, le droit de l’environnement, le droit de la concurrence – l’externalisation est toujours de mise, sauf si l’activité se développe de manière importante."
Eric Montcuit : "L’avocat apporte une solution juridique, le « sachant » sans devoir prendre la décision alors que le juriste doit comprendre les besoins des opérationnels, les accompagner et les aider à mettre en œuvre des solutions qui ne sont pas toujours légalement les meilleures. L’atout indéniable d’un avocat est sa spécialisation. Et cette dernière doit être récurrente dans le business de l’entreprise afin que le recrutement d’un avocat soit justifié."
FED Legal : Avocat ou juriste, lequel choisir ?
Matthieu Guérineau : "Pour ma part, il n’y a aucune différence. Je choisirai le meilleur et n’en privilégierai aucun. C’est la personne qui importe, pas le statut ni la rémunération. Si mon choix se porte sur un avocat, je serai prêt à faire un effort sur ce dernier point, en considération de sa rétrocession annuelle et de la grille des salaires de l’entreprise."
Eric Montcuit : "Le statut d’avocat ne doit pas être un critère de choix dans le recrutement. Le plus important est le parcours du candidat et sa personnalité, c’est ce qui fera toujours la différence. Mais entre un avocat et un juriste à expérience égale, je privilégierai ce dernier en raison de son expérience business et de l’international et serais prêt à rémunérer davantage un tel profil.
Le CAPA n’apporte rien de plus pour être juriste en entreprise, au contraire d’une formation en école de commerce, bien plus business."
FED Legal : Comment se fait l’intégration d’un avocat de formation au sein d’une équipe juridique ?
Matthieu Guérineau : "Sans aucune difficulté ! Le passage est plus commun à l’étranger, mais se développe de plus en plus en France. Je n’ai jamais rencontré d’avocats qui ne s’adaptent pas à la vision business : ils ont déjà pour la plupart une fonction de conseil auprès de leurs clients et sont de fait demandeurs d’informations qui leur permettent d’avoir une vision interne de l’entreprise. C’est d’ailleurs plus particulièrement le cas des avocats qui conseillent des clients qui n’ont pas d’équipe juridique en place."
Eric Moncuit : "Elle se fait plus facilement quand son activité est dédiée à une seule matière, et qu’il est recruté en tant que spécialiste, au contraire du juriste qui est plus « généraliste » par nature. Il est beaucoup plus facile de spécialiser un généraliste que l’inverse, l’intégration d’un avocat dépend du périmètre qu’on lui attribue. "
Propos recueillis par Audrey Déléris, consultante senior.